Jean-Claude Boulos

Sylphide
5/7/58

Cours ma petite biche dans la fraîcheur candide
De ce matin de mai
Et prends dans ton sillage ma bouche encore avide
De ta bouche embaumée
Ton pied frappe la terre qui gémit sous tes pas
Légers comme un duvet
Et le soleil accourt doucement sur tes bras
Comme pour les couver.
Cours ma nymphe, cours ma belle cours sans t’arrêter
Sur le gazon humide.
Le sol respire tes jambes tes cuisses tes pieds
Et les couvre de rides,
Jaloux de leur beauté, de leur blancheur
Défiant les cailloux
Jaloux de leur santé, de leur fraîcheur
Tout simplement jaloux.
Cours, cours, cours cheveux au vent
Poitrine ouverte
Sur la rosée de mai, dans le soleil levant,
Sur l’herbe verte.
Ton souffle frémissant exhale une buée
De ta fière narine,
Et tu roules insouciante, endiablée, enjouée
Dans les grosses épines
Qui te labourent, te griffent et mettent en sang
Ton corps nu de déesse.
Tu roules et tu jouis quand ces chardons méchants
En t’offrant leur caresse,
S’enfoncent dans ta chair comme s’ils étaient chez eux,
Choyé, reçus, aimés,
Par ton être tout entier, soudain heureux
Blessé, content, calmé.
Frétillant comme un poisson hors de l’eau, tu te couches,
N’y tenant plus, tes mains
Caressent ton visage, ton ventre, ta bouche
Et tes splendides seins.
Cueillant les gouttes de sang que les mauvaises herbes
Ont semées sur ta peau
En autant de points rouges dans une gerbe
De coquelicots.
Et tu bois excitée, ce sang limpide et pur
Tout mêlé de rosée
Accrochée sur tes seins, sur tes poils et sur
Ton corps brisé
De fatigue de bonheur, d’amour et de sommeil,
Avide de verdure,
De vent, de ciel bleu, de clarté, de soleil
Et de sauvage nature.
Va, cours, roule, ne te retourne plus
Pour me voir debout
Admirant tes cheveux, ton corps, et ta peau nue,
Et t’aimant comme un fou.

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